mardi 30 janvier 2024

Bazooka

Ce collectif d’artistes représente une des plus grandes réussites du graphisme punk.
Il s’agit au départ d’un petit groupe qui se rencontre à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1974.
D’emblée, il ne fonctionne pas comme un mouvement d’avant-garde, mais comme un groupe de rock. Au lieu de donner des concerts, il fabrique des images, des fanzines et des magazines. Le point de départ est la bande dessinée, du moins ses caractéristiques externes, mais que Bazooka malaxe dans un tourbillon d’images détournées et de textes parfois délibérément truffés de fautes d’orthographe.
Il s’associe immédiatement au mouvement punk qui apparaît en France durant l’automne 1976.
Il invente le concept de la “dictature graphique” en créant une sorte de parodie de propagande révolutionnaire, qui juxtapose des idéologies totalitaires contradictoires avec un sens profond du désenchantement et de la dérision.
Son style s’affirme déjà, à base de collages, d’imagerie médicale (blessures, maladies), d’accidents de voiture, de photos d’actualité détournées, avec des références au constructivisme russe des années 20 et au dadaïsme.
Le collectif, à géométrie variable, comptera toujours un noyau dur de trois personnes : Kiki Picasso, Loulou Picasso et Olivia Clavel.
En 1977, le journal Libération lui offre la liberté d’intervenir directement dans ses pages avec des dessins. Durant l’été, Bazooka franchit toutes les étapes de la provocation, utilisant des images pornographiques extrêmes qui valent plusieurs procès au journal.
Le principal label de musique punk français, Skydog Records, lui confie la réalisation de plusieurs pochettes de disques.
En 1978, Bazooka collabore avec le New Musical Express en réalisant un numéro spécial de ce magazine consacré à la scène punk française. La même année, il fonde la revue Un Regard Moderne, dont le but est de redessiner l’actualité d’un point de vue artistique.
L’impact du langage graphique novateur mis au point par le collectif engendre un énorme carnet de commandes (couvertures et pages de magazines, affiches de théâtre, illustrations pour la presse féminine, propagande politique, et même un générique d’émission télévisée…)… ainsi que de nombreux plagiats, notamment de la part du monde publicitaire toujours à l’affût de nouvelles tendances.
L’influence de Bazooka sera énorme, à commencer dans les écoles d’art.

En 1979, le collectif décide de se séparer, chaque membre poursuivant sa carrière artistique et son destin individuellement.






















Kiki et Loulou Picasso en 2010 - Pochette de disque



Xerox Revolution : fanzines punks 70s

 Le but de cet exposé est de vous montrer un petit aperçu de l’histoire du fanzine punk, en me focalisant sur la fin des années 70. Je distingue clairement trois scènes différentes : l’Angleterre, New York (là où historiquement tout a commencé) et Los Angeles. 

Mon intervention est illustrée avec des images mêlant couvertures de fanzines et photos représentatives du contexte de l’époque. Les images sont accompagnées de morceaux de groupes punks liés aux scènes illustrées : The Damned, The Buzzcocks et Vice Squad pour l’Angleterre; Suicide pour New York; The Dead Kennedys et X pour Los Angeles.

Panorama de la scène anglaise :


Panorama de la scène de New York :


Panorama de la scène de Los Angeles :



Durant les années 70, une terrible crise économique ravage la Grande-Bretagne. Le chômage et l’inflation galopante succèdent à l’euphorie des « swinging sixties ». C’est dans ce contexte explosif qu’apparaissent les Sex Pistols, un groupe londonien créé de toutes pièces par l’agent artistique Malcolm McLaren. 






















Dès leur premier single sorti en 1976, « Anarchy In The UK », ces artistes catalysent la colère, la frustration et la révolte de toute une partie de la jeunesse anglaise. Des dizaines de groupes apparaissent alors en quelques mois partout dans le pays (puis très rapidement dans le reste de l’Europe). La scène punk est née. Le terme « punk » provient de l’argot américain et signifie « bon à rien » et par extension « délinquant juvénile ». 
Ce terme devient l’étendard de milliers de jeunes qui entendent s’exprimer à travers l’anarchie et le chaos.
Une de leurs premières préoccupations consiste à représenter l’antithèse, le miroir inversé de la « sphère culturelle » hippie, encore très présente à l’époque. Par opposition aux valeurs prônées par le Flower Power (amour universel, partage), les punks se revendiquent nihilistes.
Les cheveux longs, les barbes, les colliers de fleurs et les ponchos multicolores cèdent la place à des cheveux courts, des vêtements noirs et customisés avec des chaînes et des épingles à nourrice. 
Dès le départ, les médias dominants, presse tabloid et télévision, traduisent la stupéfaction, la peur et le rejet du reste de la population face à ces créatures de Frankenstein émergeant des décombres de la société britannique.
Même beaucoup de punks n’affichent pas d’opinions politiques et rejettent les organisations politiques, plusieurs rejoignent des courants d’extrême-gauche.
Le groupe Crass revendique un engagement anarcho-libertaire. The Slits s'implique dans la cause féministe.
Le relatif écho des thèses fascistes du National Front provoque des réactions de l’Anti Nazi League et la naissance du festival Rock Against Racism. Certains groupes (notamment The Clash) entretiennent des contacts étroits avec la scène reggae, très vivace grâce à l’importante communauté afro-caribéenne.
La caractéristique principale du mouvement punk est sa « globalité » et son refus des compromis : il ne se limite pas à un style musical précis mais entretient des liens étroits avec la mode, les arts plastiques et le graphisme. Le mot d’ordre est DIY, Do It Yourself. 
Fais-le toi-même, avec le moins de moyens possibles mais le plus vite possible.
Si vous êtes capable de brancher un ampli, vous pouvez former un groupe. Si vous avez une machine à écrire, un feutre noir, de la colle et une paire de ciseaux, vous pouvez créer un fanzine.
En l’absence de relais au sein de l’économie traditionnelle, les dizaines de fanzines qui naissent alors demeurent le lien principal entre les groupes et tous les autres protagonistes de cette scène underground.
Il s’agit de considérer deux aspects fondamentaux de ce phénomène culturel.
Le premier est une innovation technologique importante, l’arrivée sur le marché des photocopieuses bon marché de la marque Xerox. Ce moyen de reproduction accessible favorise grandement la fabrication facile et rapide de petits journaux DIY.
Le second est le travail du graphiste Jamie Reid, qui réalise les pochettes et les affiches des Sex Pistols. Sa technique, à base de collages bruts et de découpages de lettres imprimées préexistantes, prend le contrepied radical des standards de l’industrie du disque, à savoir les pochettes très élaborées et très chères !) élaborées par le studio Hypgnosis pour les formations de rock progressif. 
Jamie Reid créé ainsi les bases d’un style qui se répercute à travers les innombrables posters, flyers, pochettes et fanzines qui éclosent alors. 




Une pochette de disque du studio Hypgnosis :

 



































«  Sniffin’ Glue », le premier fanzine punk (et le plus important) est créé à Londres en 1976 par un jeune graphiste amateur de 19 ans, Marc Perry. Celui-ci vient d’assister à un concert des Ramones et il donne donc à son fanzine un titre tiré d’une de leurs chansons, « Now I wanna sniff some glue ». Pour réaliser son premier exemplaire, il utilise pour travailler tout ce qu’il trouve dans sa chambre : un feutre noir et une machine à écrire pour enfants Fisher Price. Son amie en photocopie une vingtaine d’exemplaires sur les lieux de son travail. Il en vendra 50 au total. Il réalisera 14 numéros de «  Sniffin’ Glue » en l’espace d’un an, le dernier s’écoulera à 15.000 exemplaires. 



Panorama de fanzines punks anglais :






























































































La première vague punk anglaise s’éteint en 1979 avec la mort de Sid Vicious, peu après la dissolution des Sex Pistols l’année précédente. Une nouvelle vague apparaît au début des années 80, davantage marquée par le chaos et le nihilisme avec des groupes comme Discharge et The Exploited.

Même s’il est communément admis que le mouvement punk a connu son essort en Angleterre en 1976, il est né historiquement aux Etats-Unis au début des années 70, entre autres sous l’impulsion d’Iggy Pop et de son groupe The Stooges. 


Deux scènes vont activement préparer le terrain de la révolution qui surviendra plus tard en Angleterre : New York et Los Angeles.
Dans les années 70, New York est une ville sale, dangereuse, dont certains quartiers (Bronx, Lower East Side) ressemblent à des zones sinistrées, parsemées de terrains vagues et d’immeubles en ruines squattés par des gangs de dealers. Une scène protopunk en partie issue du monde artistique gravite déjà autour des clubs CBGB et Max’s Kansas City, avec les Ramones, Blondie, Richard Hell, les Cramps…
Il faut noter l’importance du plasticien Alan Vega et de son groupe Suicide, qui traduisent le chaos environnant à travers des compositions electrorock minimalistes. 


C’est d’ailleurs à New York qu’est publié en 1975 le fanzine Punk, qui popularise ce terme et contribue à diffuser les groupes se produisant au CBGB.


Panorama des fanzines punks de New York :
















Au même moment se développe la scène punk de Los Angeles. Elle est couverte par le journal « Slash », largement diffusé.


Moins « arty » que New York, plus physique et aussi beaucoup plus radicale (notamment dans ses incessantes confrontations avec la police), cette scène californienne se caractérise par l’arrivée du « hardcore ». L’éthique punk poussée dans ses derniers retranchements : plus vite, plus fort, encore plus apocalyptique. Ce courant, représenté par le groupe Black Flag, est surtout porté par les adolescents des banlieues « middle class » d’Orange County et de San Diego. 

Black Flag :


Il finit à partir de 1981 par supplanter la scène d’Hollywood. La scène hardcore est aussi liée à la pratique sportive du skateboard. En 1982, le photographe Glen E. Friedman l’a célébrée en créant son propre « photozine », «  My Rules », qu’il écoulera à 10.000 exemplaires :


Panorama des fanzines de Los Angeles :