mardi 28 novembre 2017

Electro Typo, Party Harders et Pop Culture

1. French Touch 1.0
En 1994, Eric Morand, fondateur, avec le DJ Laurent Garnier, du label de musique techno, F Communications, déclare : « We give a french touch to house music ». Ce terme « French Touch » qualifie un mouvement de musique électronique français représenté par des groupes comme Air, Daft Punk, Cassius... Ce mouvement s’est illustré sur la scène internationale et s’est étendu à tous les créateurs visuels qui accompagnent cette musique. 
Ainsi, du début des années 1990 au début des années 2000, jamais en France, graphisme et musique n’ont été aussi proches.
Cette synergie entre musique et graphisme s’explique par la nature même de la musique électronique et par l’attitude partagée de ces artistes qui rejettent en bloc le star system et les codes marketing qui l’accompagnent. 
Au début des années 1990, les labels indépendants se mettent en place à l’insu des majors, tandis que les ateliers de graphistes voient le jour à l’ombre des agences de publicité. 
Graphistes, labels et musiciens nouent des liens forts : H5 avec les labels Solid ou Pamplemousse, Restez Vivants ! avec le label Artefact puis avec Yellow Production, M/M avec le groupe The Micronauts, Sylvia Tournerie avec Bosco, Alex Courtès avec Cassius (…)
(catalogue de l’exposition French Touch. Graphisme / Vidéo / Electro, Les Arts Décoratifs, 2012)

Etienne de Crecy, Superdiscount, Disques Solid, SLD 007 CD, 1996
Design H5


Bangbang*, Je T’aime, Je T’aime, Yellow Productions, 3984-25741-2, 1999
Design Restez vivants !


The Micronauts, The Jag, Science, 7243 8 95919 2 7, 1999
Design M/M


Bosco, Novo Screen, WEA, 5050466-2637-2-8
Design Sylvia Tournerie


Cassius, Cassius 1999, Virgin 07243 895582 6 5
Design Alex Courtès


2. French Touch 2.0
La fin du phénomène French Touch est peut-être plus difficile à dater que son origine. 
Mais, à l’évidence, à partir du début de la décennie 2000, la formule d’une house dancefloor et funky s’épuise peu à peu, de nombreux producteurs, en France comme ailleurs, ayant tenté d’exploiter le filon jusqu’à en épuiser sa source. 
Et puis, à mille lieux de l’atmosphère des clubs internationaux prisés par les artistes de la French Touch, une scène électronique plus militante, underground et revendicative s’est développée en France, autour de ce que l’on nomme les free-parties qui résonnent au son du hardcore et d’une techno vindicative connaissent entre 2000 et 2005 leur pic de popularité. (…)
Néanmoins, le terme a fait une réapparition justifiée à partir de 2007, à l’heure de l’émergence et du succès d’une nouvelle génération de musiciens électroniques menés par le duo Justice et les labels parisiens Ed Banger ou Institubes. 
Avec ce que la presse a rapidement dénommé la French Touch 2.0 (dont l’histoire et la terminologie restent encore à écrire), des nouveaux musiciens s’exportent à nouveau dans le reste du monde, dix ans après leurs grand frères de la première French Touch.
(Génération X, une courte histoire de la French Touch, Jean-Yves Leloup, catalogue de l’exposition French Touch. Graphisme / Vidéo / Electro, Les Arts Décoratifs, 2012)

3. Ed Banger et So-Me
Le label électro Ed Banger Records a quant à lui été fondé en 2003 par Pedro Winter, ancien manager de Daft Punk. Ce label phare de la « French Touch 2.0 » est surtout connu grâce au groupe Justice et au travail graphique de son directeur artistique So-Me, qui signe pochettes de disques et posters. Quant à ses clips vidéos, ils se distinguent par un style percutant à base de logos, de lettres et de phrases animés.

Kanye West, « Good Life », Roc-A-Fella Records, 1753871, 2007


Justice, « D.A.N.C.E. », Ed Banger Records, ED017, 2007


Justice, « DVNO », Ed Banger Records, ED022, 2008


Petite parenthèse : au niveau des créations typographiques animées, il convient de souligner l’importance du travail réalisé par Tom Kan pour le générique du film de Gaspar Noé « Enter The Void » en 2010, sur une musique de Thomas Bangalter de Daft Punk.

Tom Kan, Enter The Void opening


Tom Kan, Enter The Void opening, slow motion


Dans le même registre typographique notons au passage le clip de « Heavy » des Crookers (Ciao Recs, CR011, 2014).


Les créations entièrement dessinées à la main de So-Me se caractérisent par leur côté flashy et cette sorte de vision transversale de la culture populaire. Il recycle entre autres les personnages de cartoon, les comics psychédéliques américains des années 60, les typos des groupes de heavy metal (« headbangers ») et les graffitis du hip hop dans un mixage très coloré.
Ce style naïf détonne dans le paysage graphique de la musique électro française et prend le contrepied des images 3D minimales ou hyper travaillées qui semblaient prépondérantes à l’époque. 
Jusqu’en 2010, les visuels du graphiste français vont déferler sur le monde entier, se décliner à travers une marque streetwear (Cool Cats qui deviendra ensuite Club 75), et créer de nombreux émules.












4. Party Harders
Le travail du collectif liègeois Party Harders se situe exactement dans la même lignée. Créée en 2006, cette association de djs, de dessinateurs et de graffeurs a évolué dans la même sphère qu’Ed Banger. Les Party Harders organisèrent d’innombrables soirées, annoncées par des affiches et des flyers où se retrouvent des influences identiques, où l’accent est mis sur des typos colorées entièrement dessinées à la main.

RVO

































2SHY































5. Sixties Pop
Une des origines de cet art populaire iconoclaste se trouve indiscutablement dans la culture Pop des années 60, en particulier les comics psychédéliques et les bandes dessinées d’avant-garde de Guy Peellaert.
Les Etats-Unis et l'Europe connaissent alors une période de grande prospérité économique. De ce renouveau émergent un mode de vie moderne et une culture populaire qui en retour rayonnent sur la vie artistique. Ainsi se développe une imagerie nouvelle, construite essentiellement autour de la télévision, du cinéma et de la publicité, qui remodèle l'environnement de l'homme et de la femme modernes. Les années Pop consacrent le règne  (…) d’une iconographie directement empruntée au flux des images générées par la société.
Cette extraordinaire confluence des recherches dans les différents domaines des arts et du spectacle, qui a marqué les années 1950 et 60, prélude aux mouvements contestataires de la fin des années 60.
(d’après « Les années pop », Centre Pompidou, 2001)





















6. Zap Comix
Dans le domaine des arts graphiques, cette contestation se manifeste aux USA par l’apparition des comics psychédéliques, et notamment du plus emblématique d’entre eux, Zap Comix, créé à San Francisco en 1968 par Robert Crumb. D’autres dessinateurs tels que Victor Moscoso et Rick Griffin y passent du format de l’affiche psychédélique à celui de la BD adulte.
Les Etats-Unis traversent alors une intense période de contestation sociale, sur fond de guerre du Viêt-Nam. C’est l’âge d’or des hippies et du « flower power ». A travers le rock (Jimi Hendrickx, The Doors, Janis Joplin…), une sexualité libre, les drogues et les spiritualités orientales, une partie de la jeunesse américaine rejette les valeurs traditionnelles bourgeoises et voudrait révolutionner la société. Zap Comix cristallise ce climat et devient le creuset d’expérimentations audacieuses. Les comics underground deviennent des ambassadeurs d'une contre-culture dont l'esprit se perpétue encore aujourd’hui.




Moscoso






Rick Griffin






7. Les Aventures de Jodelle
Le designer, directeur artistique et artiste belge Guy Peellaert va à son tour révolutionner les arts plastiques.
Il crée en 1966 « Les Aventures de Jodelle ». Le visage et la silhouette de son héroïne s’inspirent délibérément de la vedette pop Sylvie Vartan.
Cette bande dessinée expérimentale brise les lois de la représentation classique, et marque une étape dans l’histoire du « 9ème Art » jusque là considéré comme mineur et enfantin
En inventant une grammaire graphique directement puisée dans les recherches formelles du Pop Art, du « Pin Ball Art » des flippers et de la technique du vitrail, Guy Peellaert aplatit, allonge et articule les personnages et les environnements sous forme de palpitations Technicolor serties dans un épais trait noir.
Dans le monde de Jodelle, les domaines de la publicité et de la fiction s’interpénètrent, à travers une fétichisation du design industriel contemporain et de la figure féminine.
Après des années de négation de la sexualité, ou de distribution honteuse d'images pornographiques sous le manteau, on bascule avec « Les Aventures de Jodelle » dans une BD sexuée qui s'assume. Le mouvement a anticipé les explosions soixante-huitardes, elles-mêmes suivies dans la décennie 70 d'un assaut généralisé contre tous les tabous dans le domaine des mœurs.









8. Pravda la Survireuse
Après avoir déménagé de Bruxelles à Paris, Guy Peellaert se tourne vers un langage encore plus libre et plus provocateur en créant en 1968 une nouvelle héroïne, Pravda (inspirée de la chanteuse pop Françoise Hardy). Le survirage est un virage sur la roue arrière.

Amazone bottée de cuir et chevauchant sa moto Black Panther, Pravda (« La vérité » en russe) évolue dans une mégalopole moderne imprégnée de violence. Elle incarne à la fois la jeunesse rock rebelle et dangereuse, ainsi qu’un archétype de femme libérée, symbole de la révolution sexuelle.